Claire Lagrange – Scribe

Articles de presse, billets d'humeur ou proses inspirées…

Burn Out affectif

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Aussi loin que je me souvienne, je ne me suis jamais vraiment sentie normale. Après tout, qu’est-ce que la normalité, hmm ? A vrai dire, rien de plus qu’un amas de clichés dictés par une société se regardant le nombril… Des règles stupides qu’il faut suivre à la lettre, des cases dans lesquelles on veut absolument nous faire entrer, des tailles à ne pas dépasser ; autant de critères sociaux futiles, matérialistes et sexistes que j’aimerais enfin voir disparaître.

Seulement voilà, difficile de les ignorer quand on a l’impression que le monde entier vous rappelle chaque jour que vous n’êtes pas comme les autres. Ces autres qui, après avoir pris soin de coller sur leur visage un sourire de façade, jouent à celui-qui-sera-le-plus-tolérant alors qu’en coulisse ils se moquent, jugent et montrent du doigt… Bienvenue dans cette société où l’apparence est Reine, ce monde où la différence, quelle qu’elle soit, est à bannir. Impossible alors pour quiconque d’être pleinement soi-même sans craindre de se prendre un revers en pleine face. Trop gros, trop grand, trop petit, trop handicapé, trop bête, trop intelligent, trop bizarre.

Pour ma part, je fais partie de la dernière catégorie.

Enfin, je faisais…

Quand je ne savais pas encore me défendre, quand j’ignorais les codes à respecter, quand j’avais l’innocence de me montrer telle que j’étais. Trop sage, trop calme, trop timide. Renfermée. Asociale. Froide.

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Rejetée à l’école, moquée au collège, regardée de travers au lycée… je n’ai jamais correspondu en rien à l’image qu’on se faisait alors – et qu’on se fait encore – d’une enfant et d’une adolescente normale. Pourquoi ? Parce que les Autres n’aiment pas la différence. Les Autres n’aiment pas qu’on ne soit pas comme eux, ou comme ils voudraient qu’on soit pour leur plaire, pour les rassurer sur leur propre existence, leur montrer qu’ils ne font pas fausse route. J’ai mis du temps à le comprendre et à m’y faire, mais j’y suis arrivée : désormais, je me comporte comme vous le voulez, quand vous le voulez. Voilà la seule échappatoire que me propose cette société névrosée et autocentrée.

Face à vous, face aux Autres, qui ne sont pas et ne seront jamais comme moi – chose que, contrairement à beaucoup, je n’ai pas de mal à accepter – je porte donc des masques. Chef de bande, copine rigolote, femme déterminée, amie sur qui on peut compter… autant de fausses identités nécessaires à ma survie. Autant de personnalités derrière lesquelles je me cache régulièrement, pour me protéger, pour ne plus entendre sans cesse que je suis bizarre, hautaine ou distante alors que je ne suis que moi.

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Ça ne veut pas dire que je mente, loin de là. Disons que j’exagère volontairement une facette de mon tempérament qui, d’ordinaire, est plus effacée que la normale.

Et jusqu’ici, ça fonctionnait plutôt bien : les Autres avaient fini par penser que j’étais comme eux et moi, je goutais à la satisfaction d’être enfin tranquille. Mais comme dirait l’autre, « chassez le naturel, il revient au galop » et, dans mon cas, ce fut celui d’un cheval de course surentraîné. Alors que tout allait bien, que j’avais trouvé un équilibre entre mes nombreux Moi, il a fallu que le vase déborde. Trop sollicitée, trop de masques à porter, moins de temps pour évacuer… il a suffit d’un instant pour que tout soit détruit. Disparue l’armure que je m’étais forgée, brisée la carapace dans laquelle j’allais souvent me réfugier, d’un coup d’un seul, je me suis sentie submergée et me suis finalement noyée. Je pensais pourtant pouvoir tout maîtriser et ne plus me mettre en danger… mais j’ai baissé ma garde et me suis faite piégée.

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A force de vouloir bien faire, plaire, ne jamais décevoir, je me suis mangée toute seule, dépassée par mon propre stratagème : aider pour faire plaisir au détriment même de ma propre vie, soutenir quoi qu’il arrive et accepter d’être souvent oubliée, être présente à chaque instant sans rien demander, écouter sans rien dire en sachant que mon tour de parler n’arriverait jamais et surtout sourire, sourire pour ne pas inquiéter… Tout ça me fatigue et m’épuise. Toutes ces choses qui me demandent plus d’efforts qu’à n’importe qui d’autre et que je fais pourtant de bon cœur, par amour ou par pure amitié, sont en train de m’étouffer. J’ai besoin de dire « non », sans pour autant être jugée. J’ai le droit de freiner sans risquer d’être sanctionnée. Je veux pouvoir m’écouter sans que les Autres soient vexés.

Heureusement pour moi, Eux sont là. Ces autres pas comme les Autres qui me comprennent et m’acceptent sans condition, parce qu’ils sont comme moi, ou parce qu’ils ont l’esprit suffisamment ouvert… A Eux, qui ne sont pas très nombreux, je dis merci d’être là. Aux Autres, je dis cela : je ne suis pas normale et ne le serai jamais. Acceptez-le comme je vous accepte, sans me juger, sans me demander de changer et surtout sans me punir de vouloir être moi-même.

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6 commentaires sur “Burn Out affectif

  1. Nyvy
    19/05/2016

    Bonjour,

    J’ai fait en février un burn out affectif qui a remis en cause celle que je suis.
    Je ne suis parvenue à comprendre en parti ce qui m’est arrivé il y a environ une semaine.

    Comme vous, j’ai toujours été mise au banc d’une société que je rêvais d’intégrer et comme vous j’ai connu les brimades de l’enfance et de l’adolescence qu’on réserve aux gens différents.
    J’ai toujours été mal à l’aise face à cela : mon rêve a toujours été d’être comme tous et, malgré le fait qu’on me dise que je ne faisais aucun effort pour m’intégrer, j’ai toujours fait plus que mon possible pour essayer d’aller vers ces autres qui me persécutaient, perdant au passage tout ce que j’avais.

    J’admire beaucoup votre courage et votre force. Votre témoignage m’a touché à un point que vous n’imaginez peut-être pas.
    J’aimerais beaucoup être comme vous (et je le serai un jour, j’y crois de tout mon être) et je vous remercie de votre billet qui m’a réconfortée.

    Je vous souhaite beaucoup de bonheur et je vous fait un doux bisou sur la joue.

    • clairelagrange
      19/05/2016

      Bonjour Nyvy,

      C’est avec émotion que je lis votre commentaire…
      Sachez que vous êtes déjà comme moi, le simple fait de penser que vous le serez « un jour » veut dire que vous avez déjà cette force en vous… elle ne demande qu’à éclater au grand jour ! Prendre conscience de ce qui « ne va pas » est une grande preuve de courage : il en faut beaucoup pour accepter de se regarder tel qu’on est, et d’y faire face.
      Je suis très heureuse d’avoir pu vous réconforter, et je ne doute pas un seul instant de votre succès. Vous allez trouver votre place, c’est certain ! Dès lors qu’on apprend à se détacher des conventions, à donner moins d’importance à ce que les Autres pensent, à nous la liberté !
      Sachez également que vous n’avez pas perdu définitivement tout ce qui fait de vous la personne que vous êtes, vous retrouverez toutes ces parties de vous sur le chemin que vous avez décidé d’emprunter… comme ce fût le cas pour moi 🙂

      Je vous souhaite également de trouver le bonheur et surtout la paix, avec vous-même, avec les Autres, et je vous embrasse bien fort…

  2. prim
    03/08/2016

    je suis très touchée de vos témoignages… je me retrouve mais aussi j’y retrouve l’un de mes enfants.

    • clairelagrange
      04/08/2016

      Si mes témoignages peuvent vous aider, j’en suis très touchée également et j’espère que ça vous aidera un peu 🙂

  3. prim
    03/08/2016

    émotion!

  4. Dordoigne
    03/11/2016

    Je vous remercie pour votre résumé
    Je me retrouve à 100%

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Cette entrée a été publiée le 12/03/2015 par dans Billets d'humeur, et est taguée , .